Beaucoup des photos et vidéos ont circulé sur le réseaux sociaux montrant un bouillonnement de gaz en mer Baltique. Les théories et hypothèses en tout genre abondent quant à l’origine de ces fuites de méthane. Je vais tenter d’appréhender la nature et les impact qu’auront les fuites de gaz, tant au niveau économique, qu’écologique.
Actuellement, davantage d’informations ont pu être recoupées mais beaucoup de zones d’ombres demeurent. Après avoir brièvement exposé la situation, un entretien avec Ludovic Leroy, ingénieur IFP Training permettra de mieux comprendre l’événement et les évolutions possibles de celui-ci, sur un plan technique.
Quels gazoducs ont été touchés ?
Ce sont les gazoducs nord stream 1 (actif) et nord stream 2 (jamais entré en service) qui ont été touchés. Un sismographe installé sur l’île de Bornholm au Danemark a détecté 2 secousses au fond de la mer Baltique, selon les services géologiques nationaux du Danemark et du Groenland.

2 secousses détectées dans la même journée
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La première a été enregistrée le 26 septembre 2022 à 00:03 H GMT (magnitude 2,3) | La seconde a été enregistrée le 26 septembre 2022 à 15:03 H GMT (magnitude 2.1) |
Concordance des temps et des lieux
Les heures et les lieux correspondent aux fuites signalées de gaz de Nord Stream 1 et 2. Les signaux des secousses ne ressemblaient pas à des tremblements de terre mais étaient plutôt comparables aux signaux observés dans les explosions. La corrélation avec des explosions n’a cependant pas été confirmée officiellement.
Analyse factuelle
J’ai contacté Ludovic Leroy, qui est ingénieur formateur à IFP Training pour lui poser quelques questions afin de mieux appréhender la situation :
Quelles infrastructures ont été touchées et à quel niveau ?
Chaque gazoduc NordStream est composé en fait de deux tubes. Les deux tubes de Nordstream 1 (NS1) ont été touchés et ont été sujet à des fuites. NordStream 2 (NS2), quant à lui, ne semble avoir été touché que sur un seul de ses tubes, les pressions mesurées en Allemagne l’attestant.
NS1 présente des fuites espacées de 6km entre ses 2 tubes, 75 km plus au Nord de la fuite de Nordstream 2, ceci au large de l’île suédoise de Bornholm. Les gazoducs mesurent 1230km de long. Les fuites sont localisées au ¾ de cette longueur au départ de la Russie. La profondeur dans cette zone évolue entre 40 et 80m.

Comment peut-on qualifier l’événement et quels sont les conséquences pour la réparation ?
Cet évènement se passe alors qu’aucun des gazoducs n’est opérationnel, NS1 étant à l’arrêt depuis la fin du mois d’Août, d’après la Russie à cause de problèmes techniques sur les turbines qui entraînent les compresseurs indispensables à la circulation du gaz et NS2 n’ayant jamais été mis en service compte tenu du contexte géopolitique actuel. Ainsi l’effet immédiat sur les approvisionnements de gaz en Allemagne et par extension en Europe, est nul. Par contre, il est évident que cela implique une impossibilité à court et moyen terme de remise en service de NS1 et de mise en service à pleine capacité de NS2. Même s’il est prématuré pour pouvoir être catégorique, je juge les probabilités de réparation des 3 tubes endommagés quasi nulles pour plusieurs raisons. L’entrée massive d’eau de mer dans les canalisations va provoquer la corrosion des zones de jonction des tubes soudés qui la constituent. Une fois ces zones corrodées, il est impensable de remettre sous pression le gazoduc pour une éventuelle remise en exploitation. Ainsi cela imposerait un changement des tubes concernés. Compte tenu de la topographie du gazoduc et de la localisation des fuites, il n’est pas impossible que cela concerne des dizaines, voire centaines de kilomètres. L’installation du gazoduc constitue déjà une prouesse technologique comme l’illustre les infographies ci-dessous.

La réparation l’est encore plus et constituerait une première historique sur un ouvrage d’une telle ampleur. Il est assez évident que la situation géopolitique actuelle est très loin d’être propice à de tels investissements.

Qu’est ce qui pourrait avoir provoqué une telle fuite de ces gazoducs ?
Les fuites sont évidemment massives si on prend en compte la rapidité de la chute de pression et la taille des zones bouillonnantes à la surface qui indique des débits de fuite élevés. Je ne serais pas surpris que l’on constate des ouvertures au moins aussi importantes que la section du gazoduc elle-même. Cela veut dire que la rupture semble avoir été violente et provoquée par une source énergétique conséquente.

A cette endroit l’épaisseur du pipeline est de l’ordre de 3 centimètres d’acier au carbone, de quelque millimètre de revêtement anti-corrosion auxquels s’ajoutent 10 centimètres de béton. Seules les zones de soudures ne sont pas protégées par du béton mais par un film plastique avec un remplissage par de la mousse entre la soudure et le film épais.
Si on considère les relevés sismographiques suèdois, tout laisse à penser que des matériaux explosifs ont été utilisés pour porter atteinte à l’intégrité de l’ouvrage.
Quel est l’impact d’une exposition au milieu marin pour un gazoduc ?
Un gazoduc sous-marin est conçu pour être opéré des dizaines d’années, 40 à 50 ans en général. Ainsi il est dimensionné et pensé pour limiter les besoins de maintenances autres que la maintenance classique des éléments de surface comme les turbo-compresseurs où les vannes de sectionnement. Chaque année des racleurs instrumentés parcourt les gazoducs sur toute sa longueur afin d’en contrôler l’état grâce à une multitudes de capteurs de différents types. On va chercher à détecter les micro fuites, les fissures, l’état des soudures…
Gazoducs sous pression
Quand un gazoduc est arrêté il reste en pression, c’était le cas de NS1 et NS2, afin de ne pas trop solliciter sa structure comme le ferait une variation importante de pression. Tout ceci constitue la vie normale d’un gazoduc. Par contre une fuite comme celle que nous avons observée va provoquer une entrée d’eau de mer à l’intérieur du gazoduc, une eau corrosive donc, qui va être en contact avec des surface en acier nu, les zones de soudure, qui seront donc sujettes à la corrosion au risque de provoquer une dégradation des propriétés mécaniques du gazoduc.
Qui a la charge de l’inspection et de l’éventuelle réparation des gazoducs Nord Stream ?
La société exploitante des gazoducs Nord Stream AG basée en Suisse en a théoriquement la charge mais il est assez certain que les pays concernés de par leur géographie ou leurs intérêts voudront inspecter l’étendue des dégâts. Nord Stream AG est un consortium international impliquant le russe Gazprom, les allemands Wintershall et E.ON, le hollandais Gasunie et le français Engie.
Combien de temps va durer la fuite ? Va-t’elle s’arrêter spontanément ?
Les fuites devraient durer encore quelques jours et s’arrêteront spontanément quand l’eau de mer aura chassé le gaz en partie. Chaque tube fuyard sera donc rempli d’eau et de gaz par poches sur les parties les plus hautes.
Il est à noter qu’une 4ème fuite a été détectée mais sa localisation ne semble pas correspondre au tracé des Nord Stream et il n’y a pas de gazoduc majeur à ma connaissance dans cette zone.
