Alors que le ministère des Affaires Étrangères russe annonce le 10 février 2022 que « Le sujet d’un traité de paix avec le Japon est clos pour la Russie ». Le sujet de l’archipel des îles Kouriles, source de désaccord qui remonte à juste après la fin de seconde guerre mondiale, revient sur le devant de la scène.
Déjà le 7 février se tenait au Japon la Journée des Territoires du Nord. Des rassemblements ont été organisés à cette occasion pour demander le retour des Territoires du nord au Japon. Cette journée marquait également un renouveau des revendications du Japon sur des territoires qu’ils considère désormais comme « illégalement annexés », alors que la Russie militarise les îlots.
Géographie de l’archipel des Kouriles
L’archipel des Kouriles est constitué d’ îles volcaniques qui s’étendent du nord de l’île d’Hokkaido jusqu’au sud de la péninsule du Kamtchatka. Elles séparent la mer d’Okhotsk au nord-ouest et l’océan Pacifique au sud-est. Au Japon, l’archipel des Kurils est majoritairement désigné sous le nom de « l’archipel des mille îles ».

Kourils et Territoires du Nord
Composé de 56 îles, l’archipel, totalement sous administration russe, peut-être divisé en deux groupes d’îles.

Les Kouriles méridionales, composées des 4 premières îles situées au nord de la ville japonaise d’Hokkaido. Ce groupe d’îles constitue historiquement, pour les japonais, les Territoires du Nord.
- Kounachir (Kunashiri) est l’île la plus au sud, et proche du Japon.
- L’archipel d’Habomai (Habomai Shoto)
- Chikotan (Shikotan-to)
- Itouroup (Etorofu) est la plus grande île, et la plus peuplée de l’archipel.

Les îles restantes, plus au nord, composent les Kouriles Septentrionales, on citera les plus notables
- Choumchou (Shumushu) est l’île la plus au nord, et proche du Kamtchatka en Russie
- Paramouchir (Paramushiru)
- Ouroup (Uruppu)
Climat des Kouriles
Le climat des îles est généralement rigoureux, avec des hivers longs, froids, neigeux et extrêmement venteux, avec des températures inférieures à -3 °C, bien que généralement supérieures à -10 °C (l’eau de mer gèle à -1,9°C pour une salinité de 35g/l, comme celle de l’océan pacifique). Les étés sont courts et notoirement brumeux. La classification climatique de Köppen de la plupart des Kouriles est subarctique, bien que Kounachir soit continental humide.

Importance géostratégique de l’archipel
Avant-postes militaires
L’archipel constitue naturellement une ligne de défense avancée pour la Russie dans le Pacifique. Conserver la jouissance des 4 îles méridionales permet à Moscou de placer des équipements militaires, dont des missiles, sur l’île de Kounashir, à quelques kilomètres seulement de l’île d’Hokkaido.

Navigation en eaux profondes
Les eaux au large de la côte sont extrêmement profondes. La fosse des Kouriles et du Kamchatka, à l’est, et le bassin des Kouriles, à l’ouest, atteignent des profondeurs de plus de 8500 m et 3400 m respectivement.

Accès à l’océan Pacifique
L’extension maximale des glaces océaniques hivernales bloque les rivages continentaux de la mer d’Okhotsk plusieurs mois chaque année. La glace de mer reste dans la mer d’Okhotsk pendant une moyenne de 77 jours par an. Le nombre de jours sans gel varie de 120 jours par an dans les îles du nord à 180 jours par an dans les îles du sud. Ces conditions, sans accès aux îles du sud, empêcherait à la Russie d’avoir un accès libre de glaces toute l’année à l’océan Pacifique, y compris de Vladivostok.

Étendre sa zone de pêche
La possession de l’archipel donne accès à une zone de pêche riche en ressources.

Historique récent de l’archipel des Kurils
L’archipel est, dans l’histoire récente, lié à l’île de Sakhaline, dans la mer d’Okhotsk, au large de la Sibérie. En effet, le Japon et la Russie signent, en 1855, le traité de Shimoda (ou traité d’amitié russo-japonais) qui détermine le premier acte de délimitation des frontière.

Traité de Shimoda 1855
Il intervient pour se partager l’île de Sakhaline, alors sous contrôle de l’empire mandchou de Chine. Le traité partage également l’archipel des Kourils en deux au niveau du chenal séparant les îles d’Itouroup, sur laquelle la souveraineté du Japon sera reconnue, ainsi que les 3 îles plus au sud (Chikotan, Habomai & Kounachir), et d’Ouroup, sur laquelle la souveraineté de l’empire russe sera reconnue, ainsi que sur les îles comprises entre Ouroup incluse et le Kamtchatka. Ce traité intervient 10 ans après la proclamation unilatérale par le Japon, de sa souveraineté sur l’archipel des Kouriles et l’île de Sakhaline. La Chine ne cédera officiellement l’île de Sakhaline à la Russie qu’en 1860, à l’occasion de la convention de Pékin.

Traité de Saint-Pétersbourg 1875
Le traité de Saint-Pétersbourg, signé en 1875, permet à la Russie de récupérer la moitié de l’île de Sakhaline. En échange, les îles appartenant à l’archipel des Kouriles, situées au nord de l’île de Itouroup, passent sous contrôle japonais. La souveraineté du Japon sur l’archipel s’étend donc, sans contestation, sur l’ensemble des îles Kouriles, à partir de 1875, après la signature du traité d’échange avec la Russie.
Défaite russe de 1905
La guerre russo-japonaise, voit le Japon sortir victorieux d’un conflit qui lui permet, le 5 septembre 1905, de récupérer la partie méridionale de l’île de Sakhaline, prise à la Russie.
Pacte de neutralité russo-japonais 1941
Le 13 avril 1941, le Japon signe un traité de neutralité avec l’Union soviétique. Moscou, à ce moment, était déjà signataire d’un autre traité de non agression lié aux forces de l’Axe depuis 1939, lorsque Staline avait signé le Pacte germano-soviétique, avec Von Ribbentrop, représentant de l’Allemagne nazi, le 23 août, à Moscou, juste avant l’invasion coordonnée de la Pologne par les deux protagonistes le 1er septembre 1939.
Alors qu’aucun conflit majeur entre les deux nations ayant pactisé n’est intervenu depuis 1941, l’URSS annonce le 5 avril 1945 qu’elle ne renouvellera pas le pacte de neutralité signé avec le Japon. À ce moment, l’Allemagne nazi s’apprêtait à capituler et l’empire nippon était au bord de la défaite.

À Yalta, en février 1945, l’Union Soviétique avait été pressée par ses nouveaux alliés, rejoints seulement après la trahison d’Hitler, qui avait lancé l’opération Barbarossa le 22 juin 1941, malgré le pacte germano-soviétique alors en vigueur. La déclaration de guerre de l’URSS contre le Japon interviendra le 8 août 1945, soient 3 mois après la capitulation de l’Allemagne nazi, comme convenu à Yalta.
Invasion des Kouriles par l’Union soviétique 1945
Toutefois, alors que le Japon avait capitulé dès le 15 août 1945, l’invasion des Kouriles par les soviétiques ne débute que le 18 août 1945 par l’île de Choumchou, en traversant sur des chalands fournis par les Américains dans le cadre du projet Hula, en venant du Kamtchatka, au nord. L’URSS, prendra le contrôle des îles Kouriles les unes après les autres, face à un pays ayant cessé les hostilités. L’intégralité de l’archipel passe sous contrôle de l’Union Soviétique le 31 août, ainsi que la totalité de l’île de Sakhaline. Les îles désignées sous les Territoires du Nord ont, quant à eux, été envahis par l’armée russe venant de Sakhaline entre le 28 août et le 5 septembre 1945.

Staline décidera unilatéralement d’annexer l’archipel conquise après la fin des hostilités en février 1946.
Traité de Paix de San Francisco 1951
Le traité de Paix, signé le 8 septembre 1951 à San Francisco par le Japon et 48 pays, mais pas par l’Union soviétique, pourtant présente, reconnaissait l’indépendance du Japon, occupé depuis 1945 et le faisait renoncer, entre autres, aux îles Kouriles et à la partie sud de l’île de Sakhaline.
Déclaration commune soviéto-japonaise 1956

La Déclaration commune soviéto-japonaise de 1956 met, de facto, fin aux hostilités, cependant, elle laisse en suspend le sort de la partie méridionale des îles Kouriles. Le traité de Paix définitif doit intervenir après le règlement d’un litige subsistant quant à la souveraineté sur les quatre îles Kouriles les plus au sud (Kounachir, Itouroup, Chikotan et l’archipel des îles Habomai).
Le litiges des Kourils
La définition des « îles Kouriles » est une source du différend. Le Japon appelle ce groupe d’îles les Territoires du nord. Tokyo les administrait depuis le traité de Shimoda de 1855, jusqu’à l’invasion soviétique de 1945. L’URSS, puis la Russie, revendique et administre la totalité de l’archipel, demandé par Staline lors de la conférence de Téhéran en novembre 1943, alors qu’un pacte de neutralité liait encore l’Union soviétique au Japon. Elle s’appuie également sur les accords de Yalta.
La Russie envisage, dans les négociations visant à aboutir à un traité de Paix définitif, uniquement la restitution de l’île de Chikotan et l’archipel des îles Habomai (Petites Kouriles). Le différent survenu durant les négociations porte donc sur les deux îles de Kounachir et Itouroup.
Positions internationales
Alors que les discussions évoluent peu, le Parlement Européen adopte, le 7 juillet 2005, une résolution qui rejoint la position américaines sur le litige des 4 îles et demande « la restitution au Japon des « territoires du Nord » qui ont été occupés par l’Union soviétique à la fin de la Seconde Guerre mondiale et qui sont actuellement occupés par la Russie ». La position de la Chine a évolué en faveur de son allié soviétique.
Les négociations se sont poursuivies durant des années et les relations se sont tendues au cours des 15 dernières années, avant de se dégrader nettement depuis le début de la tentative d’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022.
Cependant, en Novembre 2010, Medvedev, alors Président russe, avait provoqué la colère du Japon en devenant le premier chef de l’Etat russe à se rendre sur l’archipel depuis son invasion en visitant Kounashir.
Premiers signes de tension.
En février 2011, la Russie annonce que Moscou va déployer des renforts pour inclure des systèmes de missiles de défense aérienne à courte et longue portée, y compris le dernier système S-400 Triumf dans le sud des îles Kouriles pour « protéger la souveraineté de la Russie en Extrême-Orient ».
En outre, durant le mois de juillet 2012, Dmitri Medvedev, alors Premier ministre russe, se rend sur l’île méridionale de Kounashir.
En mars 2014, le ministère des Affaires Étrangères japonais publie un document sur les Territoires du Nord, et indique que « Les quatre îles du Nord sont restées occupées par l’Union soviétique et la Russie jusqu’à aujourd’hui, sans aucune base légale. »
Invasion du Donbas et militarisation des îles Kouriles
En avril 2014, peu après le début de l’invasion du Donbass en Ukraine par la Russie , le 6 avril 2014, le ministère russe de la défense annonce l’adoption d’un plan de construction d’infrastructures militaires sur les îles méridionales d’Itouroup et de Kounachir dans les Kouriles.
Poursuite de la militarisation des Kouriles
Au cours des cinq dernières années, la Russie s’est engagée dans une importante construction de bases sur les îles méridionales de Kunashiri, Etorofu, Matua et Paramushiri dans la chaîne des Kouriles.
Le 1er décembre 2020, la chaîne de télévision Zvezda du ministère russe de la Défense a rapporté que la Russie avait déployé plusieurs versions S-300V4 du système de missiles S-300VM pour le combat sur l’île contestée d’Iturup.
Le 26 juillet 2021, le Premier ministre russe Mikhail Mishustin a visité l’île d’Iturup et a déclaré que Moscou envisageait de créer une zone économique spéciale sans droits de douane et avec un ensemble réduit de taxes sur la chaîne d’îles de Kouriles.
Le 1er décembre 2021, le ministère de la défense publie à son tour des images du déploiement de systèmes de missiles Bastion et d’une ville militaire autonome sur une île des Kouriles
Réaction à l’invasion de l’Ukraine
Peu après l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, le Japon a appliqué des sanctions à la Russie, mettant fin à la coopération économique autour des îles.
De plus, le 7 mars 2022, le Premier ministre du Japon, Fumio Kishida, a déclaré que les Kouriles du Sud sont « un territoire propre au Japon, un territoire sur lequel le Japon exerce sa souveraineté« . Dans son rapport annuel sur la politique étrangère, le Japon prévoit de qualifier d' »occupation illégale » l’emprise exercée par la Russie depuis des décennies sur le chapelet d’îles septentrionales contestées.
Démonstrations de force et représailles russes
En réponse, la Russie a interrompu les pourparlers relatifs au traité de paix sur les Kouriles, a mis fin à un accord empêchant la saisie des navires de pêche japonais dans les eaux entourant les îles, et a mené sur celles-ci un exercice militaire axé sur l’entraînement à repousser une invasion.
Récemment, les tensions ont atteint un nouveau niveau.
Le 3 septembre 2022, la Russie a révoqué un accord permettant aux anciens résidents japonais des îles de se rendre sans visa. Dans le même temps, l’exercice naval Vostok 2022, dont une partie a été menée conjointement avec la Chine, comprenait des opérations sur les îles.
Le ministère russe de la défense déclare le 5 décembre 2022 avoir déployé des systèmes mobiles de missiles de défense côtière sur l’île septentrionale de Paramouchir, aux Kouriles, proche du Kamtchatka.
Le sujet d’un traité de paix entre le Japon et la Russie se clôt
Par ailleurs, le 7 février 2023, date du 168e anniversaire du traité de Shimoda de 1855, le Japon a réaffirmé sa position selon laquelle il considère que les quatre îles sont illégalement occupées par la Russie. Dans une déclaration, Fumio Kishida a déclaré : « Il est totalement inacceptable que les territoires du Nord n’aient toujours pas été restitués depuis leur occupation illégale par l’Union soviétique il y a 77 ans ». C’était la première fois en cinq ans que le gouvernement japonais utilisait le terme « occupation illégale » pour désigner les quatre îles.

Aujourd’hui, la perspective de signature d’un traité de Paix, qui était toujours en suspend depuis l’invasion soviétique, vient visiblement de s’éloigner de nouveau avec la déclaration du ministères des Affaires Étrangères russe. De plus, la résolution du différent sur l’archipel n’évoluera très probablement pas positivement dans un cours terme.